Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/473

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madame Chaise, qui ne bougeait plus, la tête retombée sur l’oreiller, les mains retournées et raidies. La face était bleue, la bouche bâillait, comme dans le dernier souffle énorme qui s’en était échappé.

Pierre s’était penché. Puis, à demi-voix :

— Elle est morte.

Morte ! ce mot retentit dans la chambre, mieux tenue, où régnait un lourd silence. Et les deux époux se regardèrent, stupéfaits, éperdus. C’était donc fini ? La tante mourait avant Gustave, le petit héritait des cinq cent mille francs. Que de fois ils avaient fait ce rêve, dont la brusque réalisation les hébétait ! Que de fois ils avaient désespéré, en craignant que le pauvre enfant ne partît avant elle ! Morte, mon Dieu ! est-ce que c’était leur faute ? est-ce qu’ils avaient réellement demandé cela à la sainte Vierge ? Elle se montrait si bonne pour eux, qu’ils tremblaient de n’avoir pu exprimer un souhait sans être exaucés. Déjà, dans la mort du chef de bureau, subitement emporté pour leur laisser la place, ils avaient reconnu le doigt si puissant de Notre-Dame de Lourdes. Est-ce qu’elle venait de les combler de nouveau, en écoutant jusqu’aux songeries inconscientes de leur désir ? Pourtant, ils n’avaient jamais voulu la mort de personne, ils étaient de braves gens, incapables d’une action mauvaise, aimant bien leur famille, pratiquant, se confessant, communiant comme tout le monde, sans ostentation. Quand ils pensaient à ces cinq cent mille francs, à leur fils qui pouvait s’en aller le premier, à l’ennui qu’ils auraient de voir un autre neveu, moins digne, hériter de cette fortune, tout cela était si discret au fond d’eux, si naïf, si naturel en somme ! Et ils y avaient certainement pensé devant la Grotte, mais la sainte Vierge n’était-elle pas la suprême sagesse, ne savait-elle pas mieux que nous-mêmes ce qu’elle devait faire pour le bonheur des vivants et des morts ?