Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/520

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pluie des millions, la ville entière livrée au lucre, les boutiques changeant les rues en bazars, se dévorant entre elles, les hôtels vivant goulûment des pèlerins, jusqu’aux Sœurs bleues qui tenaient table d’hôte, jusqu’aux pères de la Grotte qui battaient monnaie avec leur Dieu ! Quelle aventure triste et effrayante, la vision d’une Bernadette si pure passionnant les foules, les faisant se ruer à l’illusion du bonheur, amenant un fleuve d’or, et dès ce jour pourrissant tout ! Il avait suffi que la superstition soufflât, que de l’humanité s’entassât, que de l’argent fût apporté, pour que cet honnête coin de terre se corrompît à jamais. Où le lis candide fleurissait autrefois, poussait maintenant la rose charnelle, dans le nouveau terreau de cupidité et de jouissance. Sodome était née de Bethléem, depuis qu’une enfant innocente avait vu la Vierge.

— Hein ? que vous ai-je dit ? s’écria madame Majesté, en s’apercevant que Pierre comparait sa nièce au portrait. Appoline, c’est Bernadette tout craché.

La jeune fille s’approcha, avec son aimable sourire, flattée d’abord de la comparaison.

— Voyons, voyons ! dit l’abbé Des Hermoises, d’un air de vif intérêt.

Il prit la photographie, compara à son tour, s’émerveilla.

— C’est prodigieux, les mêmes traits… Je n’avais pas remarqué encore, je suis ravi en vérité…

— Pourtant, finit par déclarer Appoline, je crois bien qu’elle avait le nez plus gros.

L’abbé, alors, eut un cri d’irrésistible admiration.

— Oh ! vous êtes plus jolie, beaucoup plus jolie, c’est évident… Mais ça ne fait rien, on vous prendrait pour les deux sœurs.

Pierre ne put s’empêcher de rire, tant il trouva le mot singulier. Ah ! la pauvre Bernadette était bien morte, et elle n’avait pas de sœur. Elle n’aurait pu renaître, elle