Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/531

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que ça ne les regarde pas, qu’ils font déjà d’assez grosses réductions sur les billets de pèlerinage, sans entrer dans les histoires des gens qui meurent.

Madame Vigneron, tremblante, l’écoutait, pendant que Gustave, oublié, chancelant de fatigue sur sa béquille, levait sa pauvre face d’agonisant curieux.

— Enfin, je le leur ai crié sur tous les tons, il y a cas de force majeure… Que veulent-ils que je fasse de ce corps ? Je ne puis pas le prendre sous mon bras et le leur apporter aujourd’hui comme bagage. Je suis donc bien forcé de rester… Non ! ce qu’il y a des gens bêtes et méchants !

— Est-ce que vous avez parlé au chef de gare ? demanda Pierre.

— Ah ! oui, le chef de gare ! Il est par là, dans la bousculade. On n’a jamais pu me le trouver. Comment voulez-vous que les choses se fassent proprement, au milieu d’une pétaudière pareille ?… Mais il faut que je le déterre, il faut que je lui dise ma façon de penser !

Et, avisant sa femme figée, immobile :

— Qu’est-ce que tu fais là ? Monte donc, pour qu’on te passe les bagages et le petit.

Alors, ce fut un engouffrement, il la poussa, il lui jeta des paquets, pendant que le prêtre soulevait Gustave dans ses bras. Le pauvre être, d’une légèreté d’oiseau, semblait avoir maigri encore, dévoré de plaies, si douloureux, qu’il eut un faible cri.

— Oh ! mon mignon ! est-ce que je t’ai fait du mal ?

— Non, non ! monsieur l’abbé, on m’a remué beaucoup, je suis très fatigué, ce soir.

Il souriait, de son air fin et si triste. Il s’enfonça dans son coin, ferma les yeux, achevé par ce mortel voyage.

— Vous comprenez, reprit M. Vigneron, ça ne m’amuse guère de me morfondre ici, tandis que ma femme et mon fils vont rentrer à Paris sans moi. Il le faut bien, la vie n’