Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/54

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quitté, l’avait sauvé, avec sa passion de ne vivre que pour les autres, en fille trouvée autrefois à la porte d’une église, n’ayant d’autre famille que celle des souffrants, à qui elle se vouait, de tout son brûlant besoin d’aimer. Et quel mois adorable, quelle exquise camaraderie ensuite, dans cette pure fraternité de la souffrance ! Quand il l’appelait « ma sœur », c’était vraiment à sa sœur qu’il parlait. Elle était une mère aussi, le levait, le couchait comme son enfant, sans que rien autre chose grandît entre eux qu’une pitié suprême, le divin attendrissement de la charité. Toujours elle se montrait gaie, sans sexe, sans autre instinct que de soulager et de consoler ; et lui l’adorait, la vénérait, et il avait gardé d’elle le plus chaste et le plus passionné des souvenirs.

— Oh ! sœur Hyacinthe ! sœur Hyacinthe ! murmura-t-il, ravi.

Un hasard seul les remettait face à face, car Ferrand n’était pas un croyant, et s’il se trouvait là, c’était qu’à la dernière minute, il avait bien voulu remplacer un ami, brusquement empêché de partir. Depuis une année bientôt, il était interne à la Pitié. Ce voyage à Lourdes, dans des conditions si particulières, l’intéressait.

Mais la joie de se revoir leur faisait oublier l’homme. Et la sœur se reprit.

— Voyez donc, monsieur Ferrand, c’est pour ce pauvre homme. Nous l’avons cru mort un instant… Depuis Amboise, il nous donne bien des craintes, et je viens d’envoyer chercher les Saintes Huiles… Est-ce que vous le trouvez si bas ? Est-ce que vous ne pourriez pas le ranimer un peu ?

Déjà, le jeune médecin l’examinait ; et les autres malades, restés dans le wagon, se passionnèrent, regardèrent. Marie, à qui la sœur Saint-François avait donné le bol de bouillon, le tenait d’une main si vacillante, que