Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/566

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par la trépidation du train lancé à toute vapeur, les pèlerins et les malades s’abandonnaient, des membres pendaient, des têtes roulaient, sous la pâle lueur dansante des lampes. Au fond, dans le compartiment des dix pèlerines, c’était un pêle-mêle lamentable de pauvres figures laides, les vieilles, les jeunes, que le sommeil semblait avoir foudroyées à la fin d’un cantique, la bouche ouverte. Et une grande pitié montait de ces tristes gens, las, écrasés par cinq journées d’espoirs fous, d’extases infinies, qui allaient, le lendemain, se réveiller à la dure réalité de l’existence.

Alors, Pierre se sentit comme seul avec Marie. Elle n’avait pas voulu s’allonger sur la banquette, disant qu’elle était restée trop longtemps couchée, pendant sept ans ; et lui, pour donner de l’aise à M. de Guersaint, qui, depuis Bordeaux, avait repris son profond sommeil d’enfant, était venu s’asseoir près d’elle. La clarté de la lampe la gênait, il tira l’écran, ils se trouvèrent dans l’ombre, une ombre transparente, infiniment douce. À ce moment, le train devait rouler en plaine, il glissait dans la nuit, comme en un vol sans fin, avec un bruit d’ailes énorme et régulier. Par la glace qu’ils avaient baissée, une fraîcheur exquise venait des champs noirs, des champs insondables, où ne luisait même pas la petite lueur perdue d’un village. Un instant, il s’était tourné vers elle, il avait vu qu’elle tenait ses yeux fermés. Mais il devinait qu’elle ne dormait pas, goûtant ce grand calme, dans ce grondement de foudre, dans cette fuite à toute vapeur au fond des ténèbres ; et, comme elle, il ferma les paupières, il rêva longuement.

Une fois encore, le passé s’évoquait, la petite maison de Neuilly, le baiser qu’ils avaient échangé près de la haie en fleur, sous les arbres criblés de soleil. Comme cela était loin déjà, et quel parfum en avait gardé sa vie entière ! Ensuite, l’amertume lui revenait du jour où il