Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/572

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dont son cœur étouffait depuis le départ. Elle se pencha encore, reprit à voix plus basse :

— Écoutez, mon bon Pierre, je suis affreusement triste. J’ai l’air d’être contente, mais la mort est dans mon âme… Vous m’avez menti, hier.

Il s’effara, il ne comprit pas d’abord.

— Je vous ai menti, comment ?

Une sorte de honte la retenait, elle hésita encore, au moment de descendre dans ce mystère d’une conscience qui n’était pas la sienne. Puis, en amie, en sœur :

— Oui, vous m’avez laissé croire que vous étiez sauvé avec moi, et ce n’était pas vrai, Pierre, vous n’avez pas retrouvé la foi perdue.

Grand Dieu ! elle savait. Ce fut pour lui une désolation, une telle catastrophe, qu’il en oublia son tourment. D’abord, il voulut s’entêter dans son mensonge de fraternelle charité.

— Mais je vous assure, Marie ! D’où peut vous venir une idée si vilaine ?

— Oh ! mon ami, taisez-vous, par pitié ! Ça me ferait trop de peine, si vous me mentiez davantage… Tenez ! c’est là-bas, à la gare, au moment de partir, quand le malheureux homme a été mort. Le bon abbé Judaine s’est agenouillé, a dit des prières pour le repos de cette âme révoltée. Et j’ai tout senti, j’ai tout compris, lorsque j’ai vu que vous ne vous mettiez pas à genoux, que la prière ne montait pas également à vos lèvres.

— En vérité, Marie, je vous assure…

— Non, non, vous n’avez pas prié pour le mort, vous ne croyez plus… Et puis, c’est autre chose aussi, c’est tout ce que je devine, tout ce qui me vient de vous, un désespoir que vous ne pouvez cacher, une mélancolie de vos pauvres yeux, dès qu’ils rencontrent les miens… La sainte Vierge ne m’a pas exaucée, ne vous a pas rendu la foi, et je suis bien malheureuse !