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Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/597

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nation croyante, dans les cathédrales du douzième siècle, pareille à un troupeau docile sous les mains du Maître. S’entêter en aveugle à vouloir cela, ce serait se briser contre l’impossible et courir peut-être aux grandes catastrophes morales.

Et, de son voyage, il ne restait déjà plus à Pierre qu’une immense pitié. Ah ! son cœur en débordait, son pauvre cœur en revenait meurtri. Il se rappelait les paroles du bon abbé Judaine ; et il avait vu ces milliers de misérables prier, sangloter, supplier Dieu de prendre leur torture en miséricorde ; et il avait sangloté avec eux, il gardait en lui, comme une plaie vive, la fraternité lamentable de tous leurs maux. Aussi ne pouvait-il songer à ces pauvres gens sans brûler du désir de les soulager. Si la foi des simples ne suffisait plus, si l’on courait le risque de s’égarer en voulant retourner en arrière, allait-il donc falloir fermer la Grotte, prêcher un autre effort, une autre patience ? Mais sa pitié se révoltait. Non, non ! ce serait un crime que de fermer le rêve de leur ciel à ces souffrants du corps et de l’âme, dont l’unique apaisement était de s’agenouiller, là-bas, dans la splendeur des cierges, dans l’entêtement berceur des cantiques. Lui-même n’avait pas commis le meurtre de détromper Marie, il s’était immolé pour lui laisser la joie de sa chimère, le divin soutien d’avoir été guérie par la Vierge. Où était donc l’homme dur qui aurait eu la cruauté d’empêcher les humbles de croire, de tuer en eux la consolation du surnaturel, l’espoir que Dieu s’occupait d’eux, qu’il leur réservait une vie meilleure dans son paradis ? L’humanité entière pleurait, éperdue d’angoisse, pareille à une malade désespérée, condamnée, que seul pouvait sauver le miracle. Il la sentait si malheureuse, il frémissait d’une fraternelle tendresse devant ce christianisme pitoyable, l’humilité, l’ignorance, la pauvreté avec ses haillons, la maladie avec ses plaies et son