Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/60

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béquille. Il avait une mince petite figure, un peu de travers, où il ne restait guère que les yeux, mais des yeux de clarté pétillant d’intelligence, affinés par la douleur, voyant sûrement clair jusqu’au fond des âmes.

Une vieille dame suivait, le visage empâté, traînant les jambes difficilement ; et M. Vigneron, se rappelant qu’il l’avait oubliée, revint vers Pierre, pour achever la présentation.

— Madame Chaise, la sœur aînée de ma femme, qui a voulu aussi accompagner Gustave, qu’elle aime beaucoup.

Et, se penchant, à voix basse, d’un air de confidence :

— C’est madame Chaise, la veuve du marchand de soie, immensément riche. Elle a une maladie de cœur qui lui donne de grandes inquiétudes.

Alors, toute la famille, massée en un groupe, considéra avec une curiosité vive ce qui se passait dans le wagon. Du monde s’attroupait sans cesse, et le père, pour que son fils pût voir, l’éleva un instant dans ses bras, pendant que la tante tenait la béquille et que la mère se haussait, elle aussi, sur la pointe des pieds.

Dans le wagon, c’était toujours le même spectacle, l’homme sur son séant, occupant le coin, raidi et la tête contre la dure paroi de chêne. Il était livide, les paupières closes, la bouche tirée par l’agonie, baigné de cette sueur glacée que sœur Hyacinthe épongeait, de temps à autre, avec un linge ; et celle-ci ne parlait plus, ne s’impatientait plus, revenue à sa sérénité, comptant sur le ciel, jetant simplement parfois un coup d’œil le long du quai, pour voir si le père Massias n’arrivait pas.

— Regarde bien, Gustave, dit M. Vigneron à son fils, ça doit être un phtisique.

L’enfant, que la scrofule rongeait, la hanche dévorée d’un abcès froid, avec un commencement de nécrose des vertèbres, semblait s’intéresser passionnément à cette