Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/600

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cerveau, sa mère toute foi. Il avait eu la force de mater la chair, de renoncer à la femme, mais il sentait bien que son père l’emportait définitivement, car le sacrifice de sa raison lui était désormais impossible : il n’y renoncerait pas, il ne la materait pas. Non, non ! la souffrance humaine elle-même, la souffrance sacrée des pauvres ne devait pas être un obstacle, une nécessité d’ignorance et de folie. La raison avant tout, il n’y avait de salut que dans la raison. Si, baigné de larmes, amolli par tant de maux, il avait dit à Lourdes qu’il suffisait de pleurer et d’aimer, il s’était trompé dangereusement. La pitié n’était qu’un expédient commode. Il fallait vivre, il fallait agir, il fallait que la raison combattît la souffrance, à moins qu’on ne voulût l’éterniser.

Mais, de nouveau, dans la fuite rapide de la campagne, une église apparut, cette fois au bord du ciel, sur une colline, quelque chapelle votive, que surmontait une haute statue de la sainte Vierge. Et, une fois de plus, tous les pèlerins firent le signe de la croix. Et la rêverie de Pierre s’égara encore, un autre flot de réflexions le rendit à son angoisse. Quel était donc cet impérieux besoin d’au-delà qui torturait l’humanité souffrante ? D’où venait-il ? Pourquoi voulait-on de l’égalité, de la justice, lorsque ces choses semblaient absentes de l’impassible nature ? L’homme les avait mises dans l’inconnu du mystère, dans le surnaturel des paradis religieux, et là il contentait son ardente soif. Toujours la soif inextinguible du bonheur l’avait brûlé, toujours elle le brûlerait. Si les pères de la Grotte faisaient de si glorieuses affaires, c’était qu’ils vendaient du divin. Cette soif du divin, que rien n’a pu étancher au travers des siècles, semblait renaître avec une violence nouvelle, au bout de notre siècle de science. Lourdes était l’exemple éclatant, indéniable, que jamais peut-être l’homme ne pourrait se passer du rêve d’un Dieu souverain, rétablissant l’égalité,