Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/602

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des grandes villes, la masse profonde du petit peuple qui fait la nation. Cent mille, deux cent mille pèlerins par an, à Lourdes, ce n’était encore que le grain de sable. Il aurait fallu le peuple, le peuple tout entier. Mais le peuple a déserté les églises à jamais, il ne met même plus son âme dans les saintes Vierges qu’il fabrique, rien désormais ne saurait lui rendre la foi perdue. Une démocratie catholique, ah ! l’histoire recommencerait. Seulement, était-ce possible, cette création d’un nouveau peuple chrétien ? et n’aurait-il pas fallu la venue d’un nouveau Sauveur, le souffle prodigieux d’un autre Messie ?

Cela sonnait toujours, grandissait comme une volée de cloche, dans la songerie de Pierre. Une religion nouvelle ! une religion nouvelle ! Il la faudrait sans doute plus près de la vie, faisant à la terre une part plus large, s’accommodant des vérités conquises. Et surtout une religion qui ne fût pas un appétit de la mort, Bernadette ne vivant que pour mourir, le docteur Chassaigne aspirant à la tombe comme à l’unique bonheur, tout cet abandon spiritualiste était une désorganisation continue de la volonté de vivre. Au bout, il y avait la haine de la vie, le dégoût et la paralysie de l’action. Toute religion, il est vrai, n’est qu’une promesse d’immortalité, un embellissement de l’au-delà, le jardin enchanté du lendemain de la mort. Une religion nouvelle pourrait-elle jamais mettre sur la terre ce jardin de l’éternel bonheur ? Où donc était la formule, où donc était le dogme qui comblerait l’espoir des hommes d’aujourd’hui ? Quelle croyance semer pour qu’elle poussât en une moisson de force et de paix ? Comment féconder le doute universel pour qu’il accouchât d’une nouvelle foi, et quelle sorte d’illusion, quel mensonge divin pouvait germer encore dans la terre contemporaine, ravagée de toutes parts, défoncée par un siècle de science ?

À ce moment, sans transition apparente, sur le fond trouble de ses pensées, Pierre vit s’évoquer la figure de