Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/101

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Massot avait eu l’obligeance d’arrêter Camille, pour l’amener à Pierre, qui, dès les premiers mots, se désespéra.

— Comment ! mademoiselle, madame votre mère ne vous a pas accompagnée jusqu’ici ?

La jeune fille, vêtue, à son habitude, d’une robe sombre, bleu paon, était nerveuse, les yeux mauvais, la voix sifflante. Et, dans le redressement rageur de sa petite taille, sa difformité s’accusait davantage, l’épaule gauche plus haute que la droite.

— Non, elle n’a pas pu… Elle avait un essayage chez son couturier. Nous nous sommes attardés à l’exposition du Lis, elle nous a forcés de la mettre à la porte de Salmon, en nous rendant ici.

C’était elle qui, habilement, avait fait traîner la visite, au Lis, espérant encore empêcher le rendez-vous de sa mère, rue Matignon. Et sa rage venait de l’aisance avec laquelle celle-ci s’était quand même débarrassée d’elle, grâce à ce mensonge d’un essayage.

— Mais, dit Pierre ingénument, si j’allais tout de suite chez ce Salmon, peut-être pourrais-je faire passer ma carte ?

Elle eut un rire aigu, tant l’idée lui parut drôle.

— Oh ! qui sait si vous l’y trouveriez ! Elle avait un autre rendez-vous pressé, elle y est sans doute déjà.

— Alors, mon Dieu ! je vais l’attendre ici. Elle viendra sûrement vous y chercher, n’est-ce pas ?

— Nous chercher, oh ! non, puisque je vous dis qu’elle a des affaires, un autre rendez-vous très important. La voiture doit nous ramener seuls, mon frère et moi.

Et sa douloureuse ironie s’empoisonnait d’une amertume croissante. Il ne comprenait donc pas, ce prêtre, avec ses questions naïves, qui lui retournaient le couteau dans le cœur ! Il devait savoir pourtant, puisque tout le monde savait.