Aller au contenu

Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne suffisait pas, il s’agissait désormais d’être juste. Avant tout, être juste, et l’effrayante misère disparaîtrait, sans qu’il fût besoin d’être charitable. Certes, ce n’étaient pas les bons cœurs qui manquaient dans ce Paris douloureux, les œuvres de charité y pullulaient comme les feuilles vertes aux premières tiédeurs du printemps. Il y en avait pour tous les âges, pour tous les dangers, pour toutes les infortunes. On secourait les enfants, avant qu’ils fussent nés, en s’inquiétant des mères ; puis, venaient les crèches, les orphelinats, prodigués aux diverses classes ; puis, après s’être occupé de l’adulte, on suivait l’homme dans la vie, on s’empressait surtout dès qu’il vieillissait, multipliant les Asiles, les Hospices, les Refuges. Et c’étaient encore toutes les mains tendues aux abandonnés, aux déshérités, aux criminels même, toutes sortes de Ligues pour protéger les faibles, de Sociétés pour prévenir les crimes, de Maisons pour recueillir les repentirs. Propagation du bien, patronage, sauvetage, assistance, union, il aurait fallu des pages et des pages, si l’on avait voulu énumérer seulement cette extraordinaire végétation de la charité qui pousse entre les pavés de Paris, dans un bel élan, où la bonté d’âme se mêle à la vanité mondaine. Qu’importait d’ailleurs ? la charité rachetait, purifiait tout. Mais quel terrible argument, l’inutilité absolue, dérisoire, de cette charité ! Après tant de siècles de charité chrétienne, pas une plaie ne s’était fermée, la misère n’avait fait que grandir, que s’envenimer jusqu’à la rage. Le mal, aggravé sans cesse, arrivait à ne pouvoir être toléré un jour de plus, du moment que l’injustice sociale n’en était ni guérie, ni même diminuée. Et, du reste, ne suffisait-il pas qu’un vieillard mourût de froid et de faim, pour que s’effondrât l’échafaudage d’une société bâtie sur l’aumône ? Une seule victime, et cette société était condamnée.

Pierre sentit un tel flot d’amertume déborder en lui, qu’il