Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/135

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pêcher de songer qu’il ne se serait pas caché ainsi, s’il n’avait eu la crainte d’être arrêté comme complice. Complice de Salvat, l’était-il donc vraiment ? Et Pierre frémissait, car il n’avait toujours pour se faire une opinion que les paroles échappées à son frère, après l’attentat, le cri accusant Salvat de lui avoir volé une cartouche, l’acte aussi de s’être si héroïquement élancé sous le porche de l’hôtel Duvillard, afin d’éteindre la mèche. Seulement, que d’obscurités encore ! et, si on lui avait volé une cartouche de cet effroyable explosif, c’était donc qu’il en fabriquait, qu’il en avait chez lui ? Sans doute, avec son poignet blessé, même s’il n’était pas complice, il n’avait eu qu’à disparaître, jugeant bien que, trouvé là, la main sanglante, déjà compromis, jamais il n’aurait convaincu personne de son innocence. Mais, quand même, les ténèbres restaient épaisses, le crime semblait possible, c’était une aventure affreuse.

Guillaume dut deviner, dans le tremblement de la main moite, que son frère lui abandonnait, un peu de l’anéantissement où tombait ce pauvre être, déjà foudroyé par le doute, et que la catastrophe achevait. Le sépulcre était vide, la cendre même en venait d’être balayée.

— Mon pauvre petit Pierre, reprit-il lentement, excuse-moi, si je ne te dis rien. Je ne peux rien te dire… Et puis, à quoi bon ? nous ne nous entendrions certainement pas… Ne nous disons rien, ne goûtons que la joie d’être ensemble et, quand même, de nous aimer toujours.

Pierre leva les yeux ; et, longuement, leurs regards restèrent l’un dans l’autre.

— Ah ! bégaya-t-il, que les choses sont affreuses !

Mais Guillaume avait bien compris l’interrogation muette. Ses yeux y répondaient en ne se détournant pas, en s’allumant d’une flamme très pure, très haute.

— Je ne peux rien te dire, répéta-t-il. Quand même, mon petit Pierre, aimons-nous.