Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/190

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Et il y avait, au fond de cette indifférence, tout un long passé de misère et d’injustice, le vieil homme las de lutter, n’espérant plus en rien, prêt à laisser crouler ce monde où la faim menaçait sa vieillesse de travailleur fourbu.

— Vous savez, moi, reprit Charles, je les ai entendus qui causaient, les anarchistes, et, vrai ! ils disent des choses très justes, très raisonnables… Enfin, père, voilà que tu travailles depuis plus de trente ans, est-ce que ce n’est pas une abomination ce qui vient de t’arriver, la menace de crever comme un vieux cheval qu’on abat, à la moindre maladie. Et, dame ! ça me fait songer à moi, je me dis que ce ne sera pas drôle, de finir comme ça… Que le tonnerre de Dieu m’emporte ! on est tenté d’en être, de leur grand chambardement, si ça doit faire le bonheur de tout le monde.

Certes, il n’avait pas la flamme, il n’en venait là que dans l’impatience de mieux vivre, déclassé déjà par la caserne, ayant rapporté du service obligatoire une idée d’égalité, de lutte pour la vie, un besoin de se faire sa légitime part de jouissance. C’était le pas fatal fait d’une génération à une autre, le père dupé dans son espoir de république fraternelle, devenu sceptique et méprisant, le fils en train d’aller à la foi nouvelle, acquis peu à peu aux violences, après l’apparente faillite de la liberté.

Mais, comme le grand rouge, un brave homme, se fâchait, criant que, si Salvat avait fait le coup, il fallait le prendre et l’envoyer à la guillotine, tout de suite, sans même le juger. Toussaint finit par être de son avis.

— Oui, oui, il a beau avoir épousé une de mes sœurs, je l’abandonne… Ça m’étonnerait pourtant de sa part, car vous savez qu’il n’est pas méchant, il ne tuerait pas une mouche.