Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Quel dommage qu’un homme d’une si large intelligence, affranchi de toutes les superstitions, résolu à toutes les vérités, ait consenti à se laisser classer, étiqueter, enfermer dans des titres et dans des Académies ! Et combien nous l’aimerions davantage, s’il émargeait moins au budget et s’il avait les membres moins liés de grands cordons !

— Que voulez-vous ? dit Pierre conciliant, il faut vivre. Puis, au fond, je crois bien qu’il est libéré de tout.

Et, comme à ce moment ils arrivaient devant l’École Normale, le prêtre s’arrêta, croyant que son jeune compagnon allait y rentrer. Mais celui-ci leva les yeux, regarda un instant la vieille demeure.

— Non, non, c’est jeudi, je suis libre… Oh ! nous sommes très libres, trop libres. Et j’en suis heureux, car cela me permet souvent de monter chez nous, à Montmartre, pour me rasseoir et travailler à mon ancienne petite table d’écolier. Là seulement, je me sens le cerveau solide et clair.

Admis à la fois à l’École Polytechnique et à l’École Normale, il avait opté pour cette dernière, où il était entré premier, dans la section scientifique. Son père désirait qu’il s’assurât un métier, celui de professeur, quitte à rester indépendant, à ne s’occuper que de travaux personnels, lors de sa sortie de l’École, si la vie le lui permettait. Très précoce, il terminait sa troisième année, il préparait le dernier examen, et c’était cet examen qui lui prenait toutes ses heures. Il n’avait d’autre repos que ses voyages à pied à Montmartre et de longues promenades dans le jardin du Luxembourg.

Machinalement, François s’était mis en marche vers ce jardin, où Pierre le suivit en causant. L’après-midi de février y était d’une douceur printanière, un pâle soleil dans les arbres noirs encore, un de ces premiers beaux