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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/203

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— Et toi ? Je croyais que tu travaillais, que tu allais publier un petit poème bientôt.

— Oh ! mon cher, créer me répugne tant ! Un vers me coûte des semaines… Oui, j’ai un petit poème, la Fin de la Femme. Et tu vois bien que je ne suis pas exclusif comme on le dit, puisque j’admire Jonas, qui croit encore à la nécessité de la Femme. Son excuse est la sculpture, un art si grossier, si matériel. Mais, en poésie, ah ! grand Dieu ! en a-t-on abusé, de la Femme ! N’est-il pas temps vraiment de l’en chasser, pour nettoyer un peu le temple des immondices dont ses tares de femelle l’ont souillé ? C’est tellement sale, la fécondité, la maternité, et le reste ! Si nous étions tous assez purs, assez distingués, pour ne plus en toucher une seule, par dégoût, et si toutes mouraient infécondes, n’est-ce pas ? ce serait au moins finir proprement.

Et, sur ce trait, dit de son air languissant, il s’en alla, avec un léger dandinement des hanches, heureux de l’effet produit.

— Vous le connaissez donc ? demanda Pierre.

— Il a été mon condisciple à Condorcet, j’ai fait toutes mes classes avec lui. Oh ! un type si drôle, un cancre qui étalait les millions du père Duvillard, jusque dans ses cravates, tout en affectant de les mépriser, posant pour le révolutionnaire, parlant d’allumer au feu de sa cigarette la cartouche qui ferait sauter le monde. Schopenhauer, Nietzsche, Tolstoï et Ibsen réunis ! Et vous voyez ce qu’il est devenu, un malade et un farceur !

— Terrible symptôme, murmura Pierre, lorsque ce sont les fils des heureux, des privilégiés, qui, par ennui, par lassitude, par contagion de la fureur destructive, se mettent à faire la besogne des démolisseurs !

François avait repris sa marche, descendant vers le bassin, où des enfants dirigeaient toute une escadre de bateaux.