Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/205

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gences en branle. Ce n’était pas la trépidation saccadée, essoufflée, la clameur grondante des usines ouvrières, où le travail manuel peine et s’irrite. Mais, ici, le soupir était aussi las, l’effort aussi meurtrier, la fatigue aussi féconde. Était-ce donc vrai que la jeunesse intellectuelle était toujours dans sa forge silencieuse, ne renonçant à aucune espérance, n’abandonnant aucune conquête, forgeant la vérité et la justice de demain, en pleine liberté d’esprit, avec les marteaux invincibles de l’observation et de l’expérience ?

François venait de lever les yeux, pour regarder l’heure, à l’horloge du Palais.

— Je vais à Montmartre, m’accompagnez-vous un bout de chemin ?

Pierre accepta, surtout lorsque le jeune homme eut ajouté qu’il passerait par le Musée du Louvre, où il voulait prendre son frère Antoine. Sous le clair après-midi, les salles du Musée de peinture, presque vides, avaient un calme tiède et noble, lorsqu’on y arrivait du fracas et de la bousculade des rues. Il n’y avait guère là que les copistes, travaillant dans un profond silence, que troublaient seuls les pas errants de quelques étrangers. Et ils trouvèrent Antoine au bout de la salle des Primitifs, très absorbé, dessinant une académie d’après Mantegna, avec un soin scrupuleux, une sorte de dévotion. Ce qui le passionnait, chez ces Primitifs, ce n’était pas le mysticisme, l’envolement d’idéal, que la mode veut y voir ; c’était au contraire, et très justement, une sincérité de réalistes ingénus, leur respect et leur modestie devant la nature, la loyauté minutieuse qu’ils mettaient à la traduire le plus fidèlement possible. Pendant des journées d’acharné travail, il venait là les copier, les étudier, pour apprendre d’eux la sévérité, la probité du dessin, tout le haut caractère qu’ils doivent à leur candeur d’honnêtes artistes.