Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/211

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Tertre, l’apercevait, plongeait par le large vitrage dans cet atelier où elle passait son existence de fille innocente. Et il s’était d’abord intéressé à elle, en la voyant toujours seule, presque abandonnée ; puis, la connaissance faite, ravi de la trouver si simple, si charmante, il avait conçu passionnément le dessein de l’éveiller à l’intelligence, à la vie, en l’aimant, en étant l’esprit, le cœur qui fécondent. Alors, ce que son frère n’avait pu être pour elle, il le fut, dans le besoin de plante frêle où elle était de soins délicats, de soleil et d’amour. Déjà il avait réussi à lui apprendre à lire, besogne qui avait rebuté toutes les institutrices. Elle l’écoutait, le comprenait. Ses beaux yeux clairs, dans son visage irrégulier, s’animaient peu à peu d’une flamme heureuse. C’était le miracle de l’amour, la création de la femme, au souffle de l’amant jeune, donnant son être. Sans doute, elle restait bien chancelante, d’une si pauvre santé, qu’on tremblait toujours de la voir s’en aller en un léger soupir ; et elle ne marchait certes pas encore, les jambes trop faibles. Mais elle n’était tout de même plus la petite sauvage, la petite fleur souffrante du printemps dernier.

Jahan, qui était dans l’émerveillement du miracle commencé, s’approcha des jeunes gens.

— Hein ? votre élève vous fait honneur. Vous savez qu’elle lit très couramment, et elle comprend très bien les beaux livres que vous lui apportez… N’est-ce pas, Lise, que, le soir, maintenant, tu me fais la lecture ?

Elle leva ses yeux candides, elle regarda Antoine avec un sourire d’infinie reconnaissance.

— Oh ! tout ce qu’il voudra bien m’apprendre, je le saurai, je le ferai.

Tous rirent doucement, et comme les trois visiteurs partaient enfin, François s’arrêta devant une maquette qui s’était fendue, en séchant.

— Un projet avorté, dit le sculpteur. Je voulais faire