Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/213

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tinguer une fine silhouette, un visage blanc égayé de soleil, sous le casque de cheveux noirs, Marie sans doute, en train de surveiller les pousses de ses lilas. Mais la lumière diffuse était si dorée, à cette heure du soir, que la vision s’y noyait et parut s’y perdre, dans une gloire. Et, les yeux éblouis, il tourna la tête, il ne vit plus, à l’autre bord du ciel, que la masse du Sacré-Cœur, crayeuse, écrasante, ainsi regardée de près, bouchant ce coin de l’horizon, de son énormité toute neuve.

Pierre était resté debout, immobile à la même place, agité des sentiments, des réflexions les plus contraires, dans un tel trouble, qu’il lui était impossible de lire clairement en lui. Maintenant, il s’était tourné vers la ville. Paris immense se déroulait à ses pieds, un Paris limpide et léger, sous la clarté rose de cette soirée de printemps précoce. La mer sans fin des toitures se découpait avec une netteté singulière, qui aurait permis de compter les cheminées, les petits traits noirs des fenêtres, par millions. Dans l’air calme, les monuments semblaient des navires à l’ancre, une escadre arrêtée en sa marche, dont la haute mâture luisait à l’adieu du soleil. Et jamais Pierre encore n’avait mieux distingué les grandes divisions de cet océan humain : la ville du travail manuel, là-bas, à l’est et au nord, avec le ronflement et les fumées des usines ; la ville de l’étude, de l’intellectuel labeur, si calme, d’une si large sérénité, au sud, de l’autre côté du fleuve ; tandis que la passion du négoce était partout, montant des quartiers du centre, où se ruait bousculade des foules, parmi le continuel fracas des roues ; et que la ville des heureux, des puissants, en lutte pour la possession du pouvoir et de la richesse, déroulait à l’ouest son entassement de palais, dans l’incendie peu à peu sanglant de l’astre à son coucher.

Et Pierre, alors, du fond de sa négation, du néant où il était tombé par la perte de sa foi, sentit passer la déli-