Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/219

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plus trouble des mysticismes, les grands savants étaient pris de terreur devant la vérité, les barbares enfin menaçaient le monde d’une nuit nouvelle, ce qui le rendait presque réactionnaire en politique, résigné d’avance à la venue du dictateur qui remettrait un peu d’ordre, pour que l’instruction de l’humanité s’achevât.

Les autres visiteurs, parfois, étaient Bache et Janzen, qui arrivaient toujours ensemble, et la nuit seulement. Ils s’attardaient, certains soirs, dans le vaste cabinet de travail, à causer avec Guillaume, jusqu’à des deux heures du matin. Bache surtout, gras et paterne, ses petits yeux tendres à demi noyés dans la neige des cheveux et de la grande barbe, parlait d’une façon lente, onctueuse, interminable, dès qu’il exposait ses idées. Il ne faisait que saluer courtoisement Saint-Simon, l’initiateur, qui avait posé le premier la loi de la nécessité du travail, à chacun selon ses œuvres. Mais, lorsqu’il en venait à Fourier, sa voix s’attendrissait, il disait toute sa religion. Celui-ci était le vrai Messie attendu des temps modernes, le Sauveur dont le génie avait jeté la bonne semence du monde futur, en réglementant la société de demain, telle qu’elle s’établirait certainement. La loi d’harmonie était promulguée, les passions libérées enfin et sainement utilisées en allaient être les rouages, le travail rendu attrayant devenait la fonction même de la vie. Rien ne le décourageait : qu’une commune commençât à se transformer en phalanstère, le département entier suivrait bientôt, puis les départements voisins, puis la France. Il acceptait jusqu’à l’œuvre de Cabet, dont l’Icarie n’était point si sotte. Il rappelait la motion qu’il avait faite, en 1871, lorsqu’il siégeait à la Commune, pour que les idées de Fourier fussent appliquées à la République française ; et il paraissait convaincu que les troupes de Versailles, en étouffant dans le sang l’idée communaliste, avaient retardé d’un demi-siècle le triomphe du communisme.