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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/23

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D’abord, à la vue de la soutane, le vieillard avait grondé de gros mots. Mais, tout de même, dans son extrême faiblesse, il gardait la goguenardise de l’ouvrier parisien.

— Je boirai volontiers un coup alors, dit-il d’une voix distincte, et avec un bout de pain, s’il y a de quoi, car voilà deux jours que je n’en connais plus le goût.

Céline s’offrit, et madame Théodore l’envoya chercher un pain et un litre de vin, avec l’argent de l’abbé Rose. Puis, en attendant, elle dit à Pierre comment Laveuve avait dû entrer à l’Asile des Invalides du travail, une bonne œuvre dont les dames patronnesses étaient présidées par la baronne Duvillard ; mais l’enquête réglementaire avait abouti sans doute à un tel rapport, que l’affaire en était restée là.

— La baronne Duvillard, je la connais, je vais aller la voir aujourd’hui ! s’écria Pierre, dont le cœur saignait. Il est impossible qu’on laisse plus longtemps un homme dans une situation pareille.

Et, comme Céline revenait avec le pain et le litre, ils installèrent à eux trois Laveuve, le remontèrent sur son tas de loques, le firent boire et manger, puis laissèrent près de lui le reste du vin et du pain, un grand pain de quatre livres, en lui recommandant d’attendre pour le finir, s’il ne voulait pas étouffer.

— Monsieur l’abbé devrait me donner son adresse, dans le cas où j’aurais quelque chose à lui faire savoir, dit madame Théodore, lorsqu’elle se retrouva devant sa porte.

Pierre n’avait pas de carte de visite, et tous trois rentrèrent dans la chambre. Mais Salvat n’y était plus seul. Debout, il causait bas, très vite, de très près, bouche à bouche, avec un jeune homme d’une vingtaine d’années. Celui-ci, fluet, brun, les cheveux taillés en brosse et la barbe naissante, avait des yeux clairs, un nez droit, des lèvres minces, dans une face pâle de vive