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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/239

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égaux et libres, murmura Pierre avec amertume. Tiens ! écoute là-haut, sur nos têtes, le pas de Barthès qui te répond, dans l’éternel cachot où l’a jeté son amour de la liberté !

Mais Guillaume s’était déjà ressaisi, et il revint avec l’emportement de sa foi, et il reprit son frère dans ses deux bras de tendresse et de salut, en grand frère qui se donnait tout entier.

— Non, non ! j’ai tort, je blasphème, je veux que tu sois avec moi plein d’espoir, plein de certitude. Il faut que tu travailles, que tu aimes, que tu renaisses à la vie. La vie seule te rendra la paix et la santé.

Des larmes remontèrent aux yeux de Pierre, pénétré, soulevé par cette affection ardente.

— Ah ! que je voudrais te croire, tenter la guérison ! Déjà, c’est vrai, un vague réveil s’est fait en moi. Mais revivre, non ! je ne le pourrai, le prêtre que je suis est mort, un sépulcre vide.

Un tel sanglot le brisa, que Guillaume, éperdu, fut gagné par ses larmes. Les deux frères, aux bras l’un de l’autre, étroitement serrés, pleurèrent sans fin, le cœur noyé d’un attendrissement immense, dans cette maison de leur jeunesse, où le père et la mère revenaient et rôdaient, en attendant que leurs chères ombres fussent réconciliées, rendues à la paix de la terre. Et, par la baie large ouverte, toute la douceur noire du jardin entrait, tandis que, là-bas, à l’horizon, Paris s’était endormi, dans l’inconnu monstrueux des ténèbres, sous un grand ciel tranquille, criblé d’étoiles.