Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/246

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Si plein de sérénité tout à l’heure, avec son grand air de conquête et de dédain, Duvillard maintenant pâlissait, pris de détresse.

— Mais je veux absolument qu’elle passe, cher ami ! Vous me mettriez dans le plus mortel embarras, car j’ai promis à Silviane qu’elle passerait.

Et tout son désarroi de vieil homme acoquiné, prêt à payer de n’importe quel prix le plaisir dont on le sevrait, apparut dans l’effarement de ses yeux et le tremblement de ses lèvres.

— Bon ! Bon ! dit Fonsègue qui s’égaya discrètement, heureux de cette complicité, du moment que c’est si grave, la note passera, je vous en donne ma parole d’honneur !

Tous les convives se trouvaient là, puisqu’on n’avait à attendre ni Gérard, ni Dutheil. Et l’on passa enfin dans la salle à manger, pendant que les derniers coups de marteau montaient des salons de vente, en bas. Ève était entre le général de Bozonnet et Fonsègue ; Duvillard, entre madame Fonsègue et Rosemonde ; et les deux enfants, Camille et Hyacinthe, occupaient les deux bouts. Ce fut un déjeuner un peu hâté, un peu bousculé, car des femmes de service, à trois reprises, vinrent soumettre des difficultés, demander des ordres. Continuellement, les portes battaient, les murs eux-mêmes semblaient être secoués par le branle inusité dont les derniers préparatifs agitaient l’hôtel. Et l’on causa à bâtons rompus, tous gagnés par la fièvre, sautant d’un bal donné la veille au ministère de l’intérieur, à la fête populaire qui aurait lieu le lendemain, jour de la mi-carême, retombant toujours à l’obsession de la vente, le prix qu’on avait payé les objets, le prix qu’on les vendrait, le chiffre probable de la recette totale, tout cela noyé dans d’extraordinaires histoires, dans des plaisanteries et des rires. Le général ayant nommé le juge d’instruction Amadieu, Ève dit