Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/273

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pour causer avec le marquis, put s’esquiver et se rendre au Café Anglais.

Quand il y arriva, des femmes en pelisse de fourrure montaient déjà l’escalier, les cabinets s’emplissaient d’aimables et luxueuses compagnies, les lampes électriques étincelaient, tout le branle du plaisir, de l’éclatante prostitution d’en haut commençait à secouer, à chauffer les murs. Et, dans le cabinet arrêté par le baron, il trouva une extraordinaire dépense, des fleurs superbes, des cristaux, de l’argenterie, comme pour un royal gala. La table de six couverts était dressée avec un faste qui le fit sourire, et le menu, la carte des vins promettaient des merveilles, tout ce qu’on avait pu choisir de plus rare et de plus cher.

— Hein ? c’est chic ! cria Silviane, qui était déjà là, avec Duvillard, Fonsègue et Dutheil. J’ai voulu l’étonner, votre critique influent… Quand on a payé un dîner pareil à un journaliste, n’est-ce pas ? il faut bien qu’il soit aimable.

Elle, pour vaincre, n’avait rien imaginé de mieux que de faire une toilette étourdissante, une robe de satin jaune, couverte de vieux point d’Alençon. Et elle s’était décolletée, et elle avait mis tous ses diamants, un diadème dans les cheveux, une rivière au cou, des nœuds aux épaules, des bracelets et des bagues. Avec sa figure candide de vierge, encadrée de fins bandeaux, elle avait l’air d’une vierge de missel, chargée des offrandes de toute la chrétienté, la vierge reine.

— Enfin, vous êtes si jolie, dit Gérard qui la plaisantait parfois, ça va tout de même.

— Bon ! répondit-elle sans se fâcher, vous trouvez que je suis une bourgeoise, qu’un petit dîner simple et une toilette modeste auraient fait preuve de plus de goût. Ah ! mon cher, vous ne savez pas comment on prend les hommes !