Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/282

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Dépitée, elle l’arrêta.

— Je sais, je sais… Mais les autres, ceux d’en bas, ceux qu’on vient voir ?

Et elle posait des questions, et elle cherchait des visages de terreur et de mystère. Dans un coin, deux hommes finirent par attirer son attention, l’un tout jeune, le visage pâle et pincé, l’autre sans âge, boutonné dans un vieux paletot qui cachait jusqu’à son linge, une casquette si profondément enfoncée sur ses yeux, qu’on ne voyait de sa face qu’un bout de barbe. Ils étaient attablés tous les deux devant des chopes de bière, qu’ils vidaient lentement, muets.

— Ma chère, dit Hyacinthe en riant franchement, vous tombez mal, s’il vous faut des bandits déguisés. Ce pauvre garçon si pâle, et qui ne doit pas manger tous les jours, a été mon condisciple à Condorcet.

Étonné, Bergaz se récria.

— Vous avez connu Mathis à Condorcet ! Oui, c’est vrai, il y a fait ses classes… Ah ! vous avez connu Mathis. Un garçon bien remarquable, et que la misère étrangle… Mais, dites donc, l’autre, son compagnon, vous ne le connaissez pas ?

Hyacinthe, regardant l’homme enfoui dans la casquette, disait déjà non de la tête, lorsque Bergaz, tout d’un coup, le poussa vivement du coude, pour le faire taire. Et, comme explication, il ajouta très bas :

— Chut !… Voici Raphanel. Je me méfie depuis quelque temps. Dès qu’il arrive, ça sent la police.

Raphanel était aussi une des vagues et louches figures de l’anarchie que Janzen avait introduites chez la princesse, pour flatter sa passion révolutionnaire du moment. Celui-là, petit homme rond et gai, à la figure poupine, au nez enfantin noyé entre de grosses joues, passait pour un énergumène, réclamait à grand fracas l’incendie et le meurtre, dans les réunions publiques. Et le fâcheux était