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III


Dès huit heures, par ce jour férié du jeudi de la mi-carême, lorsque tous les bureaux du vaste hôtel étaient vides, Monferrand, le ministre de l’Intérieur, se trouvait seul dans son cabinet. Un simple huissier gardait sa porte, et deux garçons de service occupaient la première antichambre.

Monferrand, à son réveil, venait d’avoir la plus désagréable des émotions. La Voix du Peuple, qui, la veille, avait repris l’affaire des Chemins de fer africains, en accusant Barroux, l’actuel ministre des Finances, d’avoir touché deux cent mille francs, continuait la campagne, aggravait le scandale, ce matin-là, en publiant la liste depuis si longtemps promise, les trente-deux noms des députés et des sénateurs, qui avaient vendu leurs voix à Hunter, l’homme de Duvillard, le mythique corrupteur, aujourd’hui disparu, évanoui, introuvable. Et Monferrand venait donc de se voir en tête de la liste, porté pour la somme de quatre-vingt mille francs, tandis que Fonsègue y était pour cinquante mille, et que les chiffres tombaient ensuite à dix mille pour Dutheil, à trois mille pour Chaigneux, la voix misérable la moins chère, au milieu de toutes les autres payées de cinq à vingt mille.

Dans l’émoi de Monferrand, il n’entrait ni surprise ni colère. Simplement, il n’aurait pas cru que Sanier poussât la rage du vacarme jusqu’à publier cette liste, cette prétendue page arrachée d’un carnet de Hunter, aux signes hiéroglyphiques incompréhensibles, qu’il aurait fallu discuter, expliquer, pour en tirer la vérité vraie.