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Malgré l’émoi personnel où il était, Duvillard ne put s’empêcher de sourire.

— Vous avez raison. Et puis, Monferrand est un homme vraiment fort, qu’on peut soutenir sans crainte.

Cette fois, Fonsègue se demanda si son angoisse se voyait. Lui, si beau joueur, toujours maître de son jeu, venait d’être terrifié par l’article de la Voix du Peuple. Pour la première fois de sa vie, il avait commis une faute, il se sentait à la merci d’une délation, ayant eu l’impardonnable imprudence d’écrire un billet de trois lignes. Les cinquante mille francs, que Barroux lui avait fait remettre, pour son journal, sur les deux cent mille destinés à la presse, ne l’inquiétaient pas. Mais il tremblait qu’on ne découvrît l’autre affaire, une somme reçue en cadeau. Il ne retrouva un peu de sang-froid que sous le regard clair du baron. C’était imbécile de ne plus savoir mentir et d’avouer par sa seule attitude.

L’huissier s’était approché.

— Je rappelle à monsieur le baron que monsieur le ministre l’attend.

Resté seul avec l’abbé Froment, Fonsègue, dès qu’il l’aperçut, alla s’asseoir près de lui, en s’étonnant à son tour de le trouver là. Pierre répéta qu’il avait reçu une sorte de lettre de convocation, sans qu’il pût deviner ce que le ministre avait à lui dire. Et il laissa percer encore son impatience de savoir, le léger frisson qui agitait ses doigts. Mais il fallait bien attendre, puisque de si graves affaires se débattaient.

Tout de suite, en voyant entrer Duvillard, Monferrand s’était avancé, les mains tendues. Lui, l’air très calme toujours, sous le vent de terreur, gardait son air bonhomme et souriant.

— Hein ? quelle histoire, mon cher baron !

— C’est idiot ! déclara nettement celui-ci, avec un haussement d’épaules.