Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/323

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et de sortir du Bois par un trou, qu’il connaissait de ce côté. On ne le tenait pas encore. Il essaya de se rendormir, n’y parvint pas, tant il souffrait. À onze heures, il eut un éblouissement, crut qu’il allait mourir. Et une colère l’envahissait, et tout d’un coup il sortit d’un bond de sa cachette de feuilles, pris d’une rage de faim, ne pouvant plus rester là, voulant manger, quitte à y perdre sa liberté et sa vie. Midi sonnait.

Alors, dès qu’il eut quitté le fossé, il se trouva dans le vaste espace découvert des pelouses de la Muette. Il les traversa au galop, comme un fou, se dirigeant instinctivement vers Boulogne, avec l’idée que la seule sortie possible était de ce côté. Ce fut miracle si personne ne s’inquiéta de cet homme galopant de la sorte. Quand il eut réussi à se jeter sous les arbres, il eut conscience de son imprudence, de cette folie qui venait de l’emporter, dans un besoin de fuite. Il trembla, se rasa parmi des genêts, attendit quelques minutes, avant d’être certain que les agents n’étaient pas derrière lui. Puis, l’œil au guet, l’oreille au vent, avec un instinct, un flair merveilleux du danger, il continua désormais sa route lentement, prudemment. Il comptait passer entre le lac supérieur et le champ de courses d’Auteuil. Mais il n’y a là qu’une large avenue, bordée de quelques arbres, et il dut déployer une adresse extrême pour ne jamais marcher à découvert, profitant des moindres troncs, utilisant les plus grêles massifs, ne se hasardant que lorsqu’il avait longuement exploré les environs. Une peur nouvelle, la vue d’un garde au loin, le tint encore un quart d’heure aplati par terre, derrière des broussailles. L’approche d’un fiacre perdu, d’un simple promeneur égarant sa flânerie, suffisait à l’arrêter. Et il respira, lorsqu’il put, au-delà de la butte Mortemar, pénétrer enfin dans les fourrés qui se trouvent entre la route de Boulogne et l’avenue de Saint-Cloud. Les taillis y sont épais, il n’avait