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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/331

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surtout contre les larmes des femmes. Il essaya de la calmer, il l’assit sur le divan, pour se débarrasser de son étreinte. Puis, se mettant près d’elle :

— Voyons, ma chère, soyez raisonnable. N’est-ce pas ? nous sommes venus ici pour causer amicalement… Je vous assure que vous vous exagérez les choses.

Mais elle exigeait une certitude.

— Non, non ! je souffre trop, j’ai besoin de savoir tout de suite… Jure-moi que tu ne l’épouseras pas, jamais, jamais !

Une fois encore, il tâcha d’éluder la réponse.

— Vous vous faites du mal, vous savez bien que je vous aime.

— Non, non ! jure-moi que tu ne l’épouseras pas, jamais, jamais !

— Mais puisque c’est toi que j’aime, puisque je n’aime que toi !

Elle le reprit ardemment, le serra contre sa gorge, lui couvrit les yeux de baisers.

— C’est vrai, ça ? tu m’aimes, tu n’aimes que moi ?… Eh bien ! prends-moi donc, baise-moi, que je te sente, que tu sois à moi, à moi toujours, jamais à l’autre !

Et Ève força Gérard aux caresses, se livra, dans un tel emportement, qu’il ne put rien lui refuser, grisé lui-même. Et, très lâchement alors, sans force désormais, il lui jura tout ce qu’elle voulut, il répéta à satiété qu’il n’aimait qu’elle et que jamais il n’épouserait sa fille. Il descendit jusqu’à prétendre que cette enfant infirme lui faisait pitié simplement. Sa bonté était son excuse. Et Ève buvait sur ses lèvres tout ce dédain apitoyé qu’il avait pour l’autre, toute la certitude d’être l’éternellement belle, la toujours désirée.

Puis, quand ce fut fini, tous deux restèrent assis sur le divan, muets et las. Un embarras les reprenait.