Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/345

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à coup sûr. Regardez, regardez cet entassement de monde, à droite, à gauche, partout !

En effet, les tribunes étroites, mal agencées, débordaient de têtes. Beaucoup de femmes, des hommes de tout âge, s’y écrasaient en une masse confuse, où l’on ne distinguait que la rondeur pâle des visages. Mais le spectacle était en bas, dans la salle des séances encore vide, pareille, avec ses rangées de banquettes en demi-cercle, à une de ces salles de théâtre qui s’emplissent très lentement, un jour de première représentation. Sous le jour froid qui tombait du plafond vitré, la tribune luisante et grave attendait, tandis que, derrière et plus haut, occupant tout le mur du fond, le bureau avec ses tables, ses sièges, son fauteuil présidentiel, restait également désert, peuplé seulement de deux garçons de bureau, en train de changer les plumes et de visiter les encriers.

— Les femmes, reprit Massot en riant, viennent ici comme elles vont dans les ménageries, avec le secret espoir que les fauves se mangeront… Et vous avez lu l’article de la Voix du Peuple, ce matin ? Il est étonnant, Sanier ! Quand il n’y a plus d’ordures, il en trouve encore. Il ajoute à la boue, il crache et souille le cloaque. Si le fond est vrai, il s’arrange pour mentir quand même, dans la monstrueuse végétation de ses commentaires. Chaque jour, il faut qu’il renchérisse, qu’il serve le nouveau poison à ses lecteurs, pour que le tirage de son journal monte… Et, naturellement, ça secoue le public, c’est grâce à lui que tout ce public est ici, les nerfs détraqués, dans l’attente de quelque sale spectacle.

Puis, il s’égaya de nouveau, en demandant à Pierre s’il avait lu, dans le Globe, un article non signé, très digne et très perfide, sommant Barroux de donner en toute franchise, sur l’affaire des Chemins de fer africains, les explications que le pays attendait. Jusque-là, le journal avait soutenu hautement le président du Conseil ; et l’on sen-