Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/348

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s’était pas battu, cela venait justement de ce que tout le monde était prêt à se battre. Et l’on hésitait, maintenant, à jeter un peuple contre un autre, en songeant à l’effroyable écrasement, à la désastreuse dépense d’argent et de sang. Aussi l’Europe, changée en un immense camp retranché, remplissait-elle de colère et de dégoût, comme si la certitude que tous avaient de s’exterminer dès la première bataille, lui gâtait le plaisir qu’on avait autrefois à se battre ainsi qu’on chassait, par l’imprévu des monts et des bois.

— Mais, dit doucement Pierre, ce n’est pas un grand mal, si la guerre disparaît.

Le général s’irrita d’abord.

— Ah bien ! vous aurez de jolis peuples, si l’on ne se bat plus !

Puis, il voulut se montrer pratique.

— Remarquez que la guerre n’a jamais coûté autant d’argent que depuis le temps où elle n’est plus possible. Notre paix défensive, nos nations en armes ruinent les États, simplement. Si ce n’est pas la défaite, c’est la banqueroute certaine… En tout cas, l’état militaire est un état perdu, où il n’y a plus rien à faire. La foi s’en va, on le désertera peu à peu, comme on déserte l’état religieux.

Et il eut un geste de désolation, la malédiction du soldat d’autrefois à ce parlement, à cette Chambre républicaine, comme s’il l’accusait des jours qui devaient venir, où le soldat ne serait plus que le citoyen.

Le petit Massot hochait la tête, trouvant sans doute le sujet d’article trop sérieux pour lui. Il coupa court, en disant :

— Tiens ! monseigneur Martha est dans la tribune diplomatique, avec l’ambassadeur d’Espagne… Vous savez qu’on dément sa candidature dans le Morbihan. Il est bien trop fin pour vouloir se compromettre à être député,