Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/355

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qu’aurait-on dit, s’il ne s’était pas efforcé de rétablir un juste équilibre, de façon que la puissance des adversaires du gouvernement ne s’en trouvât pas décuplée ? Les mains se tendaient vers lui, vingt journaux, et des plus méritants, des plus fidèles, réclamaient leur légitime part. C’était cette part qu’il leur avait assurée, en leur faisant distribuer les deux cent mille francs portés à son nom, sur la liste. Pas un centime n’était entré dans sa poche, il ne permettait à personne de douter de sa probité, sa simple parole devait suffire. Et, à ce moment, il fut vraiment d’une grandeur admirable, tout disparut, sa médiocrité pompeuse, son emphase, il n’y eut plus qu’un honnête homme, frémissant, le cœur à nu, la conscience saignante de ce qu’il en arrachait de vérité, dans l’amère détresse d’avoir été à la peine et de comprendre qu’il ne serait point à la récompense.

Le discours, en effet, tombait dans un silence de glace. Barroux, naïf, qui avait cru à un élan d’enthousiasme, à une Chambre républicaine l’acclamant d’avoir sauvé la république, était envahi peu à peu lui-même par le souffle froid qui montait de tous les bancs. Tout d’un coup, il se sentit isolé, fini, touché par la mort. C’était en lui un écroulement, un vide de sépulcre. Pourtant, il continua, au milieu du terrible silence, avec une bravoure de pauvre homme qui achève de se suicider, voulant mourir debout, par amour des nobles et éloquentes attitudes. Sa fin fut un dernier beau geste. Lorsqu’il descendit de la tribune, la froideur s’aggrava, il n’y eut pas un applaudissement. Par comble de maladresse, il avait fait une allusion aux menées sourdes de Rome et du clergé, qui, selon lui, ne tendaient qu’à reconquérir les positions perdues et qu’à reconstituer plus ou moins prochainement la monarchie.

— Est-il bête ! est-ce qu’on avoue ! murmura Massot. Fichu, et le ministère avec lui !