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de Montmartre, Guillaume, qui avait une clé, entra simplement et doucement. Sur la place du Tertre, si provinciale, si calme, la petite maison semblait dormir, dans une paix profonde. Et Pierre la retrouvait telle qu’il l’avait vue, lors de sa première, de son unique visite, silencieuse, souriante, baignée d’une infinie tendresse. C’était d’abord l’étroit couloir qui traversait le rez-de-chaussée, pour s’ouvrir sur l’immense horizon de Paris. Puis, c’était le jardin réduit à deux pruniers et à un bouquet de lilas, égayés de feuilles maintenant ; et il y aperçut, cette fois, trois bicyclettes appuyées contre les pruniers. Enfin, c’était le vaste atelier de travail, si joyeux et si recueilli, où vivait toute la famille, et dont le large vitrail dominait l’océan des toitures.

Guillaume était arrivé jusqu’à l’atelier sans rencontrer personne. Très amusé, il mit un doigt sur ses lèvres.

— Attention ! mon petit Pierre. Tu vas voir.

Et, la porte ouverte sans bruit, ils restèrent un instant sur le seuil.

Seuls, les trois fils étaient là. Thomas, près de sa forge, manœuvrant une machine à percer, criblait de trous une petite plaque de cuivre. Dans l’autre coin, devant le vitrage, François et Antoine étaient assis aux deux côtés de leur grande table, l’un enfoncé dans un livre, tandis que l’autre, le burin en main, terminait un bois. Toute une nappe joyeuse de soleil entrait, se jouait parmi l’extraordinaire pêle-mêle de la salle, où s’entassaient tant de besognes, tant d’outils divers, au milieu desquels la table à ouvrage des deux femmes était fleurie d’une grosse touffe de giroflées. Et, dans l’attention absorbée des trois jeunes gens, dans la religieuse paix, on n’entendait que le sifflement léger de la machine, à chaque trou que l’aîné perçait.

Mais, bien que Guillaume, sur le seuil, n’eût pas bougé, il y eut un frisson, un brusque éveil. Les trois fils