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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/374

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Souriant, Guillaume avait écouté, sans intervenir. Il s’était mis à l’aimer, séduit surtout par sa franchise, sa droiture, ce bel équilibre qui faisait son charme honnête et fort. Elle savait tout. Mais si elle n’avait plus la poésie de la jeune fille ignorante et bêlante, elle y gagnait une réelle probité de cœur et d’esprit, une parfaite innocence au grand jour, sans réserve d’hypocrisie, sans perversité cachée, aiguillonnée par le mystère. Et, dans sa belle santé calme, elle avait gardé une telle pureté d’enfance, que, malgré ses vingt-six ans sonnés, tout le sang de ses veines montait encore parfois à ses joues, en ces ardentes rougeurs dont elle était si désespérée.

— Chère Marie, dit Guillaume, vous voyez bien que les enfants s’amusent, et c’est vous qui avez raison… Vos œufs à la coque sont les meilleurs du monde.

Il avait dit cela avec une affection si tendre, que la jeune fille, sans autre raison, devint pourpre. Elle le sentit, rougit davantage. Et, comme les trois garçons la regardaient malicieusement, elle se fâcha contre elle-même. Puis, se tournant vers Pierre :

— Hein ? monsieur l’abbé, est-ce ridicule, une vieille fille, rougir ainsi ? Ne dirait-on pas que j’ai commis un crime ?… Et, vous savez, c’est pour arriver à me faire rougir, qu’ils me taquinent, ces enfants !… J’ai beau ne pas vouloir, je ne sais d’où ça monte, c’est plus fort que moi.

Mère-Grand, levant les yeux de la chemise qu’elle raccommodait, sans lunettes, dit simplement :

— Va, ma chère, c’est très bien, c’est ton cœur qui monte à tes joues, pour qu’on le voie.

L’heure du déjeuner approchait. On décida qu’on mettrait la table dans l’atelier, ce qui arrivait parfois, lorsqu’on avait un convive. Et ce fut vraiment exquis, dans le clair soleil, cette table dressée avec son linge blanc, ce déjeuner si simple et si fraternel. Les œufs que la jeune