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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/380

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comme si elles le suppliaient de les réconcilier en lui, le jour où il trouverait la paix. Que devait-il faire ? rester à pleurer, à se désespérer avec elles deux ? Aller là-bas chercher la guérison, qui les coucherait enfin elles-mêmes dans le sommeil du tombeau, heureuses de dormir, maintenant que lui vivait heureux ? Et, un matin, au réveil, il lui sembla que son père, souriant, l’envoyait là-bas ; tandis que sa mère, consentante, le regardait de ses grands yeux doux, où la tristesse d’avoir fait de lui un mauvais prêtre cédait au besoin de le rendre à l’existence de tous.

Ce jour-là, Pierre ne raisonna pas, prit une voiture, donna l’adresse, pour être sûr de ne pas s’effarer et tourner court, en chemin. Puis, lorsqu’il se retrouva, comme dans un rêve, au milieu du vaste atelier, gaiement reçu par son frère Guillaume et les trois grands fils, qui, délicatement, paraissaient croire qu’il était venu la veille, il assista à une scène imprévue qui le frappa beaucoup et le soulagea.

Marie, à son entrée, était restée assise, l’avait à peine salué, la face pâle, le front barré d’une ride. Et Mère-Grand, l’air grave aussi, dit en la regardant :

— Excusez-la, monsieur l’abbé, elle n’est pas raisonnable… C’est contre nous cinq que vous la voyez en colère.

Guillaume se mit à rire.

— Ah ! la têtue !… Tu ne peux pas t’imaginer, Pierre, ce qui se passe dans cette petite caboche-là, lorsqu’on contrarie l’idée qu’elle a de la justice, oh ! une idée si haute, si totale, qu’elle ne souffre aucun accommodement… Ainsi nous causions de ce procès, de ce père qui vient d’être condamné sur le témoignage de son fils, et elle seule soutient qu’il a bien fait, qu’on doit dire la vérité, toujours et quand même… Hein ? quel terrible accusateur public elle ferait !