Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/385

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tures contraires ! Tandis que lui, lié par son serment de prêtre, se débattait douloureusement dans son doute, elle, mise au lycée Fénelon, dès la mort de sa mère, y avait grandi loin de tout culte, en un oubli peu à peu total de ses premières impressions religieuses. Et c’était pour lui une continuelle surprise qu’elle eût échappé de la sorte au frisson de l’au-delà, lorsque lui-même en restait ravagé si profondément. Dans leurs causeries, quand il s’étonnait de cela, elle riait à belles dents, disait que l’enfer ne lui avait jamais fait peur, parce qu’elle savait bien qu’il ne pouvait exister, ajoutait qu’elle vivait paisible, sans l’espoir d’aller au ciel, en tâchant de s’accommoder sagement aux nécessités de cette terre. Affaire de tempérament peut-être. Mais affaire d’instruction aussi. Car jamais instruction complète n’était tombée dans une cervelle plus solide, dans un caractère plus droit. Et le miracle, avec toute cette science entassée un peu au hasard, était qu’elle fût restée très femme, très tendre, sans rien de dur ni de viril. Elle n’était que libre, loyale et charmante.

— Ah ! mon ami, lui disait-elle, si vous saviez combien il m’est facile d’être heureuse, lorsque les êtres chers ne soufrent pas trop autour de moi ! Personnellement, je m’arrange toujours avec la vie, je m’y adapte, je travaille, je me contente quand même. Aussi la douleur ne m’est-elle jamais venue que par les autres, car je ne puis m’empêcher de vouloir que tout le monde soit à peu près heureux ; et il y en a qui résistent… Ainsi, moi, j’ai longtemps été pauvre, sans cesser d’être gaie. Je ne désire rien, que les choses qui ne s’achètent pas. La misère n’en est pas moins la grande abomination, la révoltante injustice qui me jette hors de moi. Je comprends que tout ait croulé pour vous, lorsque la charité vous a semblé insuffisante et dérisoire. Pourtant, elle soulage, donner est si doux ! Et puis, un jour, par la raison,