Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/387

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Vers les premiers jours d’avril, un après-midi que tous étaient au travail, Marie, qui brodait près de la table à ouvrage, en face de Mère-Grand, leva les yeux sur Paris, s’exclama d’admiration.

— Oh ! voyez donc Paris dans cette pluie de soleil !

Pierre s’approcha du vitrage. C’était le même effet qu’il avait vu déjà, lors de sa première visite. Le soleil oblique, qui descendait derrière de minces nuages de pourpre, criblait la ville d’une grêle de rayons, rebondissant de toutes parts sur l’immensité sans fin des toitures. Et l’on aurait dit quelque semeur géant, caché dans la gloire de l’astre, qui, à colossales poignées, lançait ces grains d’or, d’un bout de l’horizon à l’autre.

Il dit tout haut son rêve.

— C’est Paris ensemencé par le soleil, et voyez quelle terre de labour, que la charrue a creusée en tous sens, ces maisons brunes pareilles à des mottes de terre, ces rues profondes et droites comme des sillons.

Marie s’égaya, se passionna.

— Oui, oui ! c’est vrai… Le soleil ensemence Paris. Tenez ! regardez de quel geste souverain il jette le blé de santé et de lumière, là-bas jusqu’aux lointains faubourgs ! Et même, c’est singulier, les quartiers riches, à l’ouest, sont comme noyés d’une brume roussâtre, tandis que le bon grain s’en va tomber, en poussière blonde, sur la rive gauche et sur les quartiers populeux de l’est… C’est là, n’est-ce pas ? que doit lever la moisson.

Tous s’étaient approchés et souriaient complaisamment du symbole. En effet, à mesure que le soleil s’abaissait derrière le lacis des nuages, il semblait que le semeur de l’éternelle vie lançait sa flamme d’un geste volontaire, à cette place, puis à cette autre, dans un balancement rythmique qui choisissait les quartiers de labeur et d’effort. Là-bas, une brûlante poignée de semence tomba sur le quartier des Écoles. Puis, là-bas, une autre poi-