Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/39

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convertie au catholicisme. Ce qu’elle n’avait pas accordé au mari légitime, elle venait de le faire, afin de s’assurer à jamais l’amour d’un amant. Et tout Paris était encore ému de la magnificence déployée, à la Madeleine, pour le baptême de cette Juive de quarante-cinq ans, dont la beauté et les larmes avaient bouleversé les cœurs.

Gérard restait flatté de cette grande tendresse touchante. Mais la lassitude venait, il avait tenté de rompre, en esquivant les rendez-vous ; et il comprenait bien ce qu’elle lui demandait, de ses yeux suppliants.

— Je vous assure, répéta-t-il faiblissant déjà, ma mère ne m’a pas laissé un jour. Naturellement, j’aurais été si heureux…

Sans une parole, elle continuait de l’implorer, et des larmes parurent au bord de ses paupières. Depuis un grand mois, il ne l’avait plus reçue dans la petite chambre où ils se rencontraient, rue Matignon, au fond d’une cour. Et, bon et faible comme elle, désespéré de cette minute de solitude où on les avait laissés, il céda, incapable de se refuser davantage.

— Eh bien, cet après-midi, si vous voulez. À quatre heures, comme d’habitude.

Il avait baissé la voix, mais un léger bruit lui fit tourner la tête, avec le tressaillement d’un homme pris en faute. C’était Camille, la fille de la baronne, qui entrait. Elle n’avait rien entendu, mais au sourire des deux amants, au frémissement même de l’air, elle venait de tout comprendre : un rendez-vous encore, là-bas, dans la rue qu’elle soupçonnait, et pour le jour même. Il y eut une gêne, un échange d’inquiets et mauvais regards.

Camille, à vingt-trois ans, était une petite personne très brune, à demi contrefaite, l’épaule gauche plus haute que la droite. Elle n’avait rien de son père, ni de sa mère : un de ces accidents imprévus, dans l’hérédité d’une famille, qui fait qu’on se demande d’où ils peuvent