Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/390

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Pendant des heures, il marcha au travers de sa chambre, dans l’angoisse de la lutte.

Ah ! le beau rêve qu’il avait fait, de grandir farouche et solitaire ! Ne plus croire, mais veiller quand même en prêtre chaste et loyal sur la croyance des autres ! Ne pas descendre au parjure, ne pas tomber à la bassesse équivoque du renégat, continuer à être le ministre de l’illusion divine, dans la détresse même de son néant ! C’était ainsi qu’il avait fini par être adoré comme un saint, lui qui niait tout, vide tel qu’un sépulcre, dont le vent a balayé la cendre. Et voilà que le scrupule de ce mensonge le prenait, un malaise qu’il n’avait pas encore senti, la pensée qu’il agirait mal, s’il continuait à ne pas mettre d’accord ses idées et sa vie. Tout son être en était déchiré.

Le débat se posait très nettement. De quel droit restait-il prêtre d’une religion à laquelle il ne croyait plus ? La simple honnêteté ne lui commandait-elle pas de sortir d’une Église, où il niait que Dieu pût se trouver ? Les dogmes n’étaient pour lui que d’enfantines erreurs, et il s’obstinait à les enseigner comme autant de vérités éternelles, toute une vilaine besogne, dont sa conscience maintenant s’effarait. En vain, il tâchait de retrouver le brûlant état d’esprit, le besoin de charité et de martyre qui l’avait fait s’offrir en holocauste, dans la pensée qu’il acceptait de souffrir du doute, de sa vie ravagée et perdue, pourvu qu’il pût encore apporter aux humbles le soulagement de l’espoir. Sans doute la vérité, la nature l’avaient déjà trop repris, il n’était plus que blessé par ce rôle d’apostolat mensonger, il ne se sentait plus l’affreux courage d’appeler Jésus du geste sur les fidèles à genoux, lorsqu’il savait bien que Jésus ne descendrait pas. Et tout croulait, son attitude de pasteur sublime, ce don suprême qu’il faisait de lui, en s’obstinant dans la règle et en donnant pour la foi jusqu’à sa torture de l’avoir perdue.