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— Voici dix-huit cents ans, conclut Pierre, que le christianisme entrave la marche de l’humanité vers la vérité et la justice. Elle ne reprendra son évolution que le jour où elle l’abolira, en mettant l’Évangile au rang des livres des sages, sans voir en lui le code absolu et définitif.

L’abbé Rose avait levé ses mains tremblantes.

— Taisez-vous, taisez-vous ! Mon enfant, vous blasphémez !… Je vous savais bouleversé par le doute, mais je vous croyais si patient, si capable de souffrance, que je comptais sur votre esprit de renoncement et de résignation. Que s’est-il donc passé pour que vous sortiez ainsi de l’Église, violemment ? Je ne vous reconnais plus, une passion s’est levée en vous, une force invincible vous emporte… Qu’est-ce donc ? Qui donc vous a changé ?

Étonné, Pierre l’écoutait.

— Mais non, je vous assure, je suis tel que vous m’avez connu, et il n’y a là qu’un résultat, un dénouement inévitable… Qui donc aurait agi sur moi, puisque personne n’est entré dans ma vie ? Quel sentiment nouveau me transformerait, puisque je n’en trouve en moi aucun, lorsque je m’interroge ? Je suis le même, le même assurément.

Pourtant, il y eut dans sa voix une hésitation. Était-ce bien vrai que rien, en lui, ne fût survenu ? Il s’interrogeait encore, et rien ne répondait nettement, il ne trouvait décidément rien. Ce n’était qu’un réveil délicieux, un immense désir de vie, un besoin d’ouvrir les bras assez larges pour embrasser toutes les créatures et toutes les choses. Et un vent d’allégresse le soulevait, l’emportait.

L’abbé Rose, bien qu’il fût de cœur trop innocent pour comprendre, hochait de nouveau la tête, songeait aux pièges du démon. Cette défection de son enfant, comme il nommait Pierre, l’accablait. Il parla encore, eut la mal-