Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/446

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s’éventait et plaisantait. Salvat répondit aux premières questions de son air las et poli. Tandis que le président s’efforçait de l’avilir, lui reprochait avec dureté les antécédents de sa jeunesse misérable, grossissait les tares, traitait d’immonde la promiscuité de madame Théodore et de la petite Céline, lui, tranquillement, disait oui, disait non, en homme qui n’a rien à cacher, qui accepte toute la responsabilité de ses actes. Il avait fait des aveux complets, il les répéta, très calme, sans y changer un mot, il expliqua que, s’il avait choisi l’hôtel Duvillard pour déposer sa bombe, c’était afin de donner à son acte sa vraie signification, la mise en demeure aux riches, aux hommes d’argent scandaleusement enrichis par le vol et le mensonge, de rendre leur part de la fortune commune aux pauvres, aux ouvriers, à leurs petits et à leurs femmes, qui crevaient de faim. Là seulement il s’anima, toutes les misères endurées remontaient en fièvre à son crâne fumeux de demi-savant, où s’étaient amassées pêle-mêle les revendications, les théories, les idées exaspérées de justice absolue et de bonheur universel. Et, dès lors, il apparut ce qu’il était réellement, un sentimental, un rêveur exalté par la souffrance, sobre, orgueilleux et têtu, voulant refaire le monde selon sa logique de sectaires.

— Mais vous avez fui, cria le président de sa voix de crécelle, ne dites pas que vous donniez votre vie à la cause et que vous étiez prêt au martyre !

C’était le regret désespéré de Salvat, d’avoir cédé, au Bois de Boulogne, à l’effarement, à la rage sourde de l’homme chassé, traqué, qui ne veut pas se laisser prendre. Et il se fâcha.

— Je ne crains pas la mort, on le verra bien… Que tous aient mon courage, et demain votre société pourrie sera balayée, le bonheur enfin naîtra.

Puis, l’interrogatoire s’éternisa sur la fabrication même