Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/448

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tête. Et Guillaume, d’un mouvement irrésistible, s’étant tourné, aperçut le petit Victor Mathis qui ne bougeait pas, les coudes toujours sur la rampe, le menton dans ses mains, écoutant de toute sa passion muette. Mais sa face était plus pâle encore, ses yeux brûlaient comme deux trous ouverts sur l’incendie vengeur dont les flammes ne s’éteindraient plus.

Dans la salle, il y eut un brouhaha de quelques minutes.

— Il est très bien, ce Salvat, déclarait la princesse amusée, il a le regard tendre… Ah ! non, mon cher député, ne dites pas de mal de lui. Vous savez que j’ai l’âme anarchiste, moi.

— Je n’en dis aucun mal, répondit Dutheil gaiement. Tenez ! pas plus que notre ami Amadieu n’a le droit d’en dire, car vous savez que cette affaire vient de le mettre au pinacle… Jamais on n’a tant parlé de lui, et il adore ça. Le voilà le juge d’instruction le plus mondain, le plus illustre, en passe de faire et d’être tout ce qu’il voudra.

Massot résuma la situation, avec son impudence ironique.

— N’est-ce pas ? quand l’anarchie va, tout va… En voilà une bombe qui aura arrangé les affaires de plusieurs gaillards de ma connaissance !… Croyez-vous que mon patron Fonsègue, si empressé là-bas, auprès de sa voisine, ait à s’en plaindre ? et croyez-vous que le sieur Sanier, qui se prélasse derrière le président, et qui serait beaucoup mieux entre les quatre gendarmes, ne doit pas une fière chandelle à Salvat, pour l’abominable réclame qu’il a battue sur le dos de ce misérable ?… Je ne parle pas des hommes politiques, ni des hommes de finance, ni de tous ceux qui pêchent en eau trouble…

Dutheil l’interrompit.

— Dites donc, il me semble que vous-même avez