Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/450

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parfois une force extraordinaire aux mots dont il était visiblement satisfait. C’était le cri de souffrance et de révolte poussé déjà par tant de déshérités, l’affreuse misère d’en bas, l’ouvrier ne pouvant vivre de son travail, toute une classe, la plus nombreuse, la plus digne, mourant de faim, tandis que, d’autre part, les privilégiés, gorgés de richesses, vautrés dans leur assouvissement, refusaient jusqu’aux miettes de leur table, ne voulaient rien rendre de cette fortune volée. Il fallait donc tout leur reprendre, les réveiller de leur égoïsme par des avertissements terribles, leur annoncer à coups de bombe que le jour de la justice était venu. Ce mot de justice, le misérable le lança d’une voix sonnante, qui emplit toute la salle. Mais ce qui émotionna surtout, ce fut, lorsqu’il eut fait le sacrifice de sa vie, en disant aux jurés qu’il n’attendait d’eux que la mort, l’annonce prophétique, par laquelle il termina, des autres martyrs qui naîtraient de son sang. On pouvait l’envoyer à l’échafaud, il savait que son exemple enfanterait des braves. Après lui, un autre vengeur, et un autre encore, toujours d’autres, jusqu’à ce que la vieille société pourrie ait croulé, pour faire place à la société de justice et de bonheur, dont il était l’apôtre.

À deux reprises, le président, agité d’impatiences, avait tenté de l’interrompre. Mais il lisait toujours, avec sa conscience imperturbable d’illuminé, qui craint de mal dire la phrase importante. Cette lecture, il devait y songer depuis qu’il se trouvait en prison. C’était l’acte décisif de son suicide, il y donnait sa vie contre la gloire d’être mort pour l’humanité. Et, quand il eut fini, il reprit sa place entre les gendarmes, les yeux brillants, les joues roses, d’un air de grande joie intérieure.

Tout de suite, pour détruire l’effet produit, un sourd malaise d’attendrissement et de peur, le président voulut