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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/452

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fiévreuse mettait le sang aux visages, tandis qu’une sorte de poussière rousse obscurcissait le jour pâlissant qui tombait des fenêtres. Des femmes s’éventaient, des hommes s’épongeaient le front. Mais la passion du spectacle allumait tous les yeux d’une joie dure. Et personne ne bougeait.

— Ah ! soupira Rosemonde, moi qui comptais pouvoir prendre une tasse de thé, chez une amie, à cinq heures ! Je vais mourir de faim.

— Nous sommes ici au moins pour jusqu’à sept heures, dit Massot. Je ne vous offre pas d’aller vous chercher un petit pain, on ne me laisserait pas rentrer.

Dutheil n’avait pas cessé de hausser les épaules, pendant que Salvat lisait sa déclaration.

— Hein ? est-ce assez enfantin, tout ce qu’il a dit ! L’imbécile qui va mourir pour ça !… Des riches et des pauvres, mais il y en aura toujours ! Et il est bien certain aussi que, lorsqu’on est pauvre, le seul désir qu’on a est de devenir riche… S’il est sur ce banc aujourd’hui, c’est qu’il a échoué, voilà tout !

Pierre, très ému, s’inquiétait de son frère, pâle, bouleversé, qui se taisait près de lui. Il chercha sa main, la pressa secrètement. Puis, à voix basse :

— Est-ce que tu te sens mal à l’aise ? Veux-tu que nous nous en allions ?

Mais Guillaume répondit d’un serrement discret et affectueux. Il était bien, il resterait jusqu’au bout, dans l’exaspération qui le soulevait.

M. Lehmann, le procureur général, prit la parole, d’une bouche large et sévère. Malgré sa carrure et son masque têtu de Juif, il était connu pour ses attaches dans tous les camps politiques et sa souplesse à être toujours l’ami des hommes au pouvoir ; ce qui expliquait son chemin rapide, la faveur constante dont il était comblé. On le savait l’avocat du gouvernement ; et, dès ses pre-