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V


Là-haut, dans l’atelier si clair et si gai d’habitude, les jours qui suivirent parurent assombris, comme si la vaste pièce s’était emplie de tristesse et de silence. Justement, les trois grands fils n’étaient point là : Thomas parti dès le matin à l’usine, pour le petit moteur ; François qui ne quittait guère l’École Normale, tout à la préparation de son examen ; Antoine pris par un travail chez Jahan, où le retenait la joie de voir sa petite amie Lise s’éveiller à la vie. Et Guillaume n’avait plus avec lui que Mère-Grand, toujours assise près du vitrage, occupée à quelque ouvrage de couture ; tandis que Marie, allant et venant par la maison, n’était guère là que pendant les heures où Pierre lui-même s’y trouvait.

Dans ce deuil, tous ne voyaient, chez le père, que la colère sourde, la révolte désespérée où le jetait la condamnation de Salvat. Il s’était emporté, au retour du Palais, il avait dit que, si l’on exécutait ce malheureux, c’était un assassinat social, une provocation à la guerre des classes ; et tous s’étaient inclinés devant la douloureuse violence de ce cri, sans discussion. On laissait respectueusement le père aux pensées qui, pendant des heures, le tenaient muet, blêmi, les yeux vagues. Son fourneau de chimiste restait froid, il ne s’occupait plus, du matin au soir, que de revoir longuement les plans et les dossiers de son invention, la poudre nouvelle, le formidable engin de guerre, dont il avait si longtemps rêvé de faire cadeau à la France, pour que, régnant sur les nations, elle pût un jour imposer au monde la victoire de