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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/462

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votre part… Mais, depuis que je vous vois souffrir, je comprends bien que je me suis trompée.

Et, comme il continuait à la regarder, éperdu, frissonnant :

— Oui, je me suis imaginé que vous pouviez avoir voulu cela, qu’en amenant votre frère vous désiriez sans doute savoir si Marie vous aimait autrement que comme un père… Il y avait une raison si forte, la grande différence des âges, la vie qui finit pour vous et qui commence pour elle… Sans parler de vos travaux, de la mission que vous vous êtes donnée.

Alors, les mains suppliantes, il s’approcha, il s’écria :

— Oh ! parlez clairement, dites-moi ce que vous pensez… Je ne comprends pas, mon pauvre cœur est trop meurtri, et je voudrais tant savoir, agir, prendre une décision !… C’est vous que j’aime, que je vénère comme une mère, c’est vous dont je connais la haute raison, dont j’ai toujours suivi les conseils, c’est vous qui avez prévu cette chose affreuse et qui l’avez laissée se faire, au risque de m’en voir mourir !… Pourquoi, pourquoi, dites ?

D’habitude, elle n’aimait guère parler, maîtresse souveraine, soignant et dirigeant la maison, sans avoir à rendre compte de ses actes. Si elle ne disait jamais tout ce qu’elle pensait ni tout ce qu’elle voulait, c’était que, dans la certitude de son absolue sagesse, le père comme les enfants s’abandonnaient complètement à elle. Et ce côté un peu énigmatique la grandissait encore.

— À quoi bon des paroles, dit-elle doucement, sans cesser de travailler, lorsque les faits parlent ?… C’est certain, j’ai approuvé votre projet de mariage, en comprenant que Marie devait vous épouser pour rester ici ; et puis, il y avait beaucoup d’autres raisons inutiles à dire… Mais l’arrivée de Pierre a tout changé, a remis les choses dans leur ordre naturel. N’est-ce pas meilleur ?

Il n’osait toujours comprendre.