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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/471

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forçait de naître à l’amour. Un instant, ils se regardèrent à travers leurs larmes : elle, si saine, si forte, la poitrine large, soulevée sous les bonds de son cœur, les bras nus jusqu’aux épaules, des bras de charme et de soutien ; lui, si vigoureux encore, avec sa toison drue de cheveux blancs, avec ses moustaches restées noires, qui donnaient à sa physionomie tant d’énergique jeunesse. Et c’était fini, l’irréparable venait de passer, de changer leur existence.

Très noblement, il dit :

— Marie vous ne m’aimez pas, je vous rends votre parole.

Mais elle refusa, avec une noblesse égale.

— Jamais je ne vous la reprendrai, car je vous l’ai donnée en toute conscience, en toute joie, et je n’ai pas cessé d’avoir pour vous la même tendresse et la même admiration.

Il n’en continua pas moins, de sa voix brisée qui se raffermissait :

— Vous aimez Pierre, c’est Pierre que vous devez épouser.

— Non, je vous appartiens, une heure ne peut défaire ce que des années avaient noué… Encore une fois, je vous jure que, si j’aime Pierre, je l’ignorais ce matin. Et restons où nous en sommes, ne me tourmentez pas davantage, ce serait trop cruel.

D’un geste de femme surprise, frissonnante, qui brusquement se voit nue, elle avait rabattu ses manches, elle les tirait sur ses mains, comme pour se cacher toute. Puis, elle se leva, elle s’éloigna, sans ajouter une parole.

Guillaume resta seul sur le banc, dans le coin de feuillage, en face de Paris immense, que le léger soleil matinal changeait en une ville de rêve, envolée et tremblante. Un poids l’écrasait, il lui semblait que jamais plus il ne pourrait quitter ce banc. Et ce qui demeurait chez lui, comme une blessure ouverte, c’était cette parole de