Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/479

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femme, le regarda avec des yeux de doute et d’angoisse, ce père qui venait d’avoir le courage de s’arracher ainsi le cœur. Est-ce que, vraiment, il ne se mourait pas de son sacrifice ? Il l’embrassa passionnément, et ses deux frères, émus à leur tour, le baisèrent aussi de toute leur âme. Lui, divinement, s’était mis à sourire, les yeux humides, sous cette caresse de ses trois grands fils. Et, après sa victoire sur son horrible tourment, rien ne lui fut d’une plus délicieuse douceur.

Mais, ce soir-là, une émotion l’attendait encore. Comme le jour allait tomber, et qu’il s’était remis, devant le vitrage, sur sa grande table, à vérifier, à classer les dossiers et les plans de son invention, il eut la surprise de voir entrer Bertheroy, son maître et son ami. Parfois, de loin en loin, l’illustre chimiste venait ainsi le voir ; et il sentait tout l’honneur d’une pareille visite, de la part d’un vieillard de soixante-dix ans, d’une gloire comblée de titres et d’emplois, chamarré de décorations. D’autant plus que ce savant officiel, membre de l’Institut, montrait quelque courage à se risquer chez un déclassé, un réprouvé tel que lui. Cette fois, pourtant, il devina tout de suite qu’une curiosité l’amenait. Aussi resta-t-il fort gêné, n’osant pas faire disparaître les papiers et les plans, étalés sur la table.

— N’ayez pas peur, lui dit gaiement Bertheroy, très fin sous son air négligé et un peu rude, je ne viens pas vous voler vos secrets… Laissez tout ça, je vous promets de ne rien lire.

Et, franchement, il mit la conversation sur les explosifs, qu’il continuait à étudier, lui aussi, avec passion. Il avait fait des découvertes nouvelles, qu’il ne cachait pas. D’une façon incidente, il parla même de la consultation qu’on lui avait demandée, dans l’affaire Salvat. Son rêve était de trouver un détonant d’une puissance prodigieuse, pour tenter ensuite de le domestiquer, de le