Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/490

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La salle du premier étage avait un vaste balcon, que des femmes et des messieurs envahissaient. Ils parvinrent pourtant à s’y glisser, et ils restèrent là quelques minutes, regardant, tâchant de percer l’ombre, au loin. Entre les deux prisons, la grande et la petite Roquette, la rue montante s’élargissait, il y avait là une sorte de place carrée, que quatre massifs de platanes, plantés dans les terre-pleins des trottoirs, ombrageaient. Les constructions basses, les arbres chétifs, toute cette laideur pauvre semblait s’étendre au ras de terre, sous un ciel immense, où les étoiles renaissaient, derrière la lune déclinante. Et la place était absolument vide, on n’apercevait qu’une petite agitation vague, là-bas ; tandis que deux cordons de gardes maintenaient la foule, la repoussaient au fond de toutes les rues voisines. Il n’y avait de hautes maisons à cinq étages, d’un bout, qu’à l’amorce de la rue Saint-Maur, beaucoup trop éloignée, et de l’autre, qu’aux angles de la rue Merlin et de la rue de la Folie-Regnault ; de sorte qu’il était à peu près impossible de rien distinguer de l’exécution, même des fenêtres les mieux situées. Quant aux curieux du pavé, ils ne voyaient que les dos des gardes, ce qui n’empêchait pas l’écrasement de cette marée humaine, dont on entendait monter la clameur croissante.

Cependant, grâce aux conversations des femmes qui se penchaient près d’eux, guettant là depuis longtemps déjà, les deux frères finirent par apercevoir quelque chose. Il était trois heures et demie, on devait achever de monter la guillotine. Devant la prison, là-bas, sous les arbres, cette petite agitation vague, c’étaient les aides du bourreau qui attachaient le couperet. Une lanterne allait et venait lentement, cinq ou six ombres dansaient sur le sol. Et rien autre, la place était comme un grand trou de ténèbres, battu de tous côtés par le flot contenu de cette foule grondante, qu’on ne voyait pas. Au-delà, il n’y avait