Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/501

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— Vive l’anarchie !

C’était Salvat qui avait crié. Mais la voix, changée, étranglée, se déchirait dans le grand silence. Les quelques personnes présentes blêmissaient, la foule semblait morte, au loin. Au milieu du large espace vide, on entendit s’ébrouer le cheval d’un garde.

Alors, ce fut une bousculade immonde, une scène d’une brutalité et d’une ignominie sans nom. Les aides se ruèrent sur Salvat, qui arrivait lentement, le front haut. Deux lui saisirent la tête, n’y trouvèrent que de rares cheveux, ne purent l’abaisser qu’en se pendant à la nuque ; tandis que deux autres lui empoignaient les jambes, le jetaient violemment sur la planche qui bascula, qui roula. Et la tête fut portée, enchâssée à coups de bourrades dans la lunette, tout cela au milieu d’une telle confusion, d’une sauvagerie si rude, qu’on aurait cru à l’extermination d’une bête gênante, dont on avait hâte de se débarrasser. Le couteau tomba, un grand choc, pesant et sourd. Deux longs jets de sang avaient jailli des artères tranchées, les pieds s’étaient agités convulsivement. On ne vit rien autre, le bourreau se frottait les mains, d’un geste machinal, pendant qu’un aide prenait la tête coupée et ruisselante dans le petit panier, pour la mettre dans le grand, où le corps, déjà, venait d’être jeté, d’une secousse.

Ah ! ce choc sourd, ce choc pesant du couteau, Guillaume l’avait entendu retentir au loin, dans ce quartier de misère et de travail, jusqu’au fond des chambres pauvres, où des milliers d’ouvriers, à cette heure, se levaient pour la dure besogne du jour ! Il prenait là un sens formidable, il disait l’exaspération de l’injustice, la folie du martyre, l’espoir douloureux que le sang répandu hâterait la victoire des déshérités. Et Pierre, lui, dans cette basse boucherie, dans cet égorgement abject de la machine à tuer, avait senti croître le frisson qui le